Les substances amères, bénéfiques pour le foie

Artichaut

Les plantes médicinales synthétisent plusieurs types de substances amères comme système de défense pour les protéger des insectes nuisibles et des herbivores, dont les humains. Il s’avère que la saveur amère est peu appréciée, ainsi elle a vraisemblablement un effet dissuasif sur la quantité ingérée. Instinctivement, le goût amer est associé à la vigilance, il éveille notre système sensoriel pour lui indiquer la présence possible de toxines.

Mais il y a une diversité incroyable de molécules que nous identifions sous le goût amer. Par exemple, tous les alcaloïdes ont un goût assez désagréable et amer. Mais il y a aussi les lactones, les iridoïdes, les terpènes ainsi que plusieurs polyphénols. Les composés amers abondent dans les végétaux ! Parmi ceux-ci, il y a effectivement des molécules très toxiques mais il y a aussi des molécules thérapeutiques qui ont de nombreux bienfaits.

Il semblerait que nous n’avons pas assez de types de cellules gustatives pour différencier clairement ces divers composés et donc une grande majorité des principes actifs ont tout simplement un goût amer.

Détection du goût amer

Le goût amer est détecté par plusieurs récepteurs dans l’organisme, on les regroupe sous l’abbréviation T2R. Il existe plus de 30 récepteurs de types différents répartis sur la langue mais aussi dans l’estomac, les intestins, le foie, le pancréas, le cœur, le cerveau, bref, dans les tissus de plusieurs organes insoupçonnés. La détection dépend de la structure chimique du composé et de la sensibilité du détecteur. Certains seraient très spécifiques à des types de molécules et d’autres auraient un spectre très large. Il y a aussi plusieurs combinaisons possibles de détections. Par exemple, une seule susbstance pourrait stimuler jusqu’à 15 récepteurs différents, certains situés sur les organes digestifs et d’autres au niveau du coeur et du cerveau. Donc, on peut affirmer que le goût amer peut agir simultanément sur diverses fonctions de notre corps.

Il semble que la perception du goût amer varie énormément d’une personne à l’autre. Certains individus auraient un seuil de détection très bas tandis que certains y seraient très peu sensibles. Cela dépend des habitudes alimentaires de chacun mais aussi de son profil génétique. En effet, les récepteurs gustatifs amers sont codés dans le chromosome 7 de l’ADN. Les gens qui auraient une plus grande variété de végétaux dans leur régime alimentaire depuis plusieurs générations seraient parmi les plus sensibles au goût amer.

Amertume et principes amers

Mais bien qu’énormément de principes actifs aient un goût amer, ce ne sont pas tous ces types de composés que les herboristes nomment « principes amers » ou « toniques amers ». Pour obtenir cette qualification, la plante doit avoir un effet bénéfique sur la digestion en stimulant la sécrétions des sucs digestifs. L’activation des récepteurs amers de la langue active la salivation, ceux de l’estomac activent les sucs gastriques et il en est de même pour les sucs pancréatiques, la bile du foie et les sucs intestinaux.

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Si on se concentre sur cette définition, cela diminue un peu la variété des composés concernés. Ceux qui ont une forte action sur la digestion, sont souvent des lactones. Il y a les lactones sesquiterpéniques, les lactones monoterpéniques et les lactones diterpéniques. Il y a bien sûr plusieurs exceptions parmi les autres classes de molécules mais cela regroupe tout de même la majorité des principes amers.

Lactones sesquiterpéniques

Comme herboriste, les premiers principes amers auxquels on pense, sont souvent les lactones sesquiterpéniques que l’on retrouve dans les Astéracées. Le pissenlit officinal (Taraxacum officinale), la chicorée sauvage (Cichorium intybus), la petite et grande bardane (Arctium minus et A. lappa), l’artichaut (Cynara cardunculus), l’achillée millefeuille (Achillea millefolium), la grande camomille (Tanacetum parthenium), l’armoise absinthe (Artemisia absinthium) et l’armoise annuelle (Artemisia annua) sont des exemples de plantes amères de cette famille. On les utilise comme apéritives, pour stimuler les sucs digestifs de l’estomac du foie, du pancréas et des intestins. On reconnait qu’elles ont un effet bénéfique sur la digestion et l’assimilation des nutriments. Ce type de principes amers a aussi démontré des effets protecteurs contre le cancer, les parasites et certaines bactéries nocives.

Le parthénolide de la grande camomille (Tanacetum parthenium) est responsable de son goût amer mais aussi de ses propriétés antimigraineuses. C’est un anti-inflammatoire très efficace et antispasmodique.

L’artémisinine de l’armoise annuelle (Artemisia annua) est reconnue comme un antiparasitaire très efficace contre la malaria. D’ailleurs, cette molécule est très particulière avec son lien oxygène-oxygène, c’est un peroxyde organique.

L’intybine (aussi appellée lactucopicrine) retrouvé dans la chicorée sauvage (Cichorium intybus), le pissenlit officinal (Taraxacum officinale) et la laitue sauvage (Lactuca virosa) est amer mais également sédatif et analgésique.

Les lactones sesquiterpèniques se trouvent dans le latex de la plante et il arrive qu’elles soient allergisantes. Elles peuvent causer des dermatites de contact ou des allergies respiratoires chez certaines personnes.

Lactones monoterpéniques

Il y a aussi d’autres composés que l’on peut qualifier de principes amers : les lactones monoterpéniques que l’on regroupe aussi sous l’appellation d’iridoïdes. On retrouvera celles-ci dans d’autres types de plantes comme le plantain majeur et lancéolé (Plantago major et P. lanceolata), l’euphraise officinale (Euphrasia officinalis), la cataire (Nepeta cataria) et les gentianes (Gentiana lutea et G. macrophylla). Elles sont antiseptiques, anti-inflammatoires et anticancéreuses avec des effets bénéfiques sur la gestion du glucose.

La gentiopicrine des gentianes (Gentiana lutea et G. macrophylla) est un bon exemple, c’est l’un des composé les plus amers qui existent. C’est un tonique digestif très efficace, il est aussi analgésique, antispasmodique pour les muscles lisses et vermifuge.

Lactones diterpéniques

Pour rester dans la famille des lactones, on a quelques lactones diterpéniques que l’on qualifient de toniques amères. Celles-ci se trouvent principalement chez les Lamiacées.

La marrubiine est très commune, on la retrouve dans le marrube blanc (Marrubium vulgare), le lierre terrestre (Glechoma hederacea), l’hysope officinale (Hyssopus officinalis) et l’agripaume (Leonurus cardiaca). En plus d’être un tonique amer, il a des propriétés antitussives, anti-ulcéreuses, analgésiques et immunomodulatrices.

Autres types de composés amers

Jusqu’à maintenant, on a vu les composés de type lactones mais il y aussi des molécules amères avec des propriétés digestives qui ne font pas partie de ces groupes.

Comme exemple, il y a la lupulone du houblon (Humulus lupulus), un polyphénol particulier que l’on utilise comme tonique digestif. C’est un tonique amer et un antimicrobien mais aussi un sédatif qui a des propriétés anticancéreuses.

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L’hydraste du Canada (Hydrastis canadensis) est un autre tonique amer mais celle-ci contient plutôt des alcaloïdes : l’hydrastine (image) et la berbérine. Des antimicrobiens très puissants qui réparent la muqueuse digestive.

Molécule de carnosol du romarin

Le romarin (Salvia rosmarinus) est souvent utilisé pour les cures du foie, il contient des diterpènes comme le carnosol et l’acide carnosique. Ils sont cholérétiques, cholagogues mais aussi neuroprotecteurs et des cardioprotecteurs.

On pourrait citer d’autres exemples, car il y a vraiment de très nombreux composés amers qui ont des bienfaits sur la digestion.

Intégrer l’amertume au quotidien

Comme mentionné ci-haut, les récepteurs amers se trouvent un peu partout mais la première porte d’entrée est la langue, il serait donc avantageux de pouvoir goûter l’amertume pour déclencher la réaction en chaîne du processus digestif. On pourra donc prévoir un tonique amer quelques minutes avant de manger.

Nous avons parlé de plantes mais il y a nombreux légumes amers, ils sont tout aussi intéressants à consommer au quotidien pour maintenir le corps en alerte et améliorer l’assimilation : céleri, laitue romaine, endive, roquette, chou kale, choux de Bruxelles, asperge. D’ailleurs, traditionnellement, il est commun de consommer des amères sous forme d’entrées, avant le repas principal.

Il semble que le goût amer diminuerait notre envie du sucre, il serait donc une clé pour prévenir le syndrôme métabolique, le surpoids, diabète, les flatulences et les reflux gastriques. Et tel que mentionné dans les exemples précédents, plusieurs des composés ont aussi un effet protecteur contre les micro-organismes nuisibles. Ils auraient donc un rôle à jouer sur notre protection immunitaire.

Recette

Infusion amère pour améliorer la digestion

  • 30 ml de feuilles de pissenlit séchées (ou 60 ml de feuilles fraîches hachées finement)
  • 30 ml de feuilles de plantain séchées (ou 60 ml de feuilles fraîches hachées finement)
  • 3 capitules de fleurs de pissenlit fraîches décortiqués (ne prélever que la partie jaune)
  • 750 ml d’eau chaude
  • Jus de 1 citron

Infuser les feuilles et les fleurs dans l’eau chaude (infuseur de type bodum, sachet de thé ou dans une casserole) pendant 15 à 20 minutes. Filtrer. Ajouter le jus de citron. Boire 250 ml avant chaque repas.

Note: l’infusion se conserve 24h. Les fleurs jaunes de pissenlit adoucissent le goût amer du mélange.

Références:

LE BON, Anne-Marie et Loïc Briand. Perception du goût : sommes-nous tous égaux?, Correspondances en Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition, Vol. XIV (5), mai 2010. https://www.edimark.fr/Front/frontpost/getfiles/16336.pdf

GILCA, Marilena. Extraoral Taste Receptor Discovery: New Light on Ayurvedic Pharmacology, Hindawi, Vol. 2017. https://www.hindawi.com/journals/ecam/2017/5435831/

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